Saturday, August 27, 2016

Les Psaumes et le Christ selon la tradition de l'Eglise.


   Le Psautier est le résumé, le condensé, de toute l'Ecriture. La tradition juive et la tradition chrétienne en ont eu vivement conscience. On conçoit aisément que les interprètes chrétiens y aient retrouvé, autant et plus que dans tous les autres livres inspirés, les mystères du Christ, de l'Eglise et de ses sacrements, les souffrances et les résurrections spirituelles du chrétien, et l'annonce de la fin des temps. Avant même d'en faire le manuel fondamental de sa prière, l'Eglise a lu les Psaumes dans ses assemblées liturgiques comme des prophéties. Saint Athanase, dans sa Lettre à Marcellin: qui est l'une des meilleures introductions à la lecture chrétienne des Psaumes, a établi une liste (non exhaustive) des passages les plus classiques où la tradition a vu des témoignages du mystère du Christ.
   Mais ce ne sont pas seulement des versets choisis qui parlent du mystère du Christ; pour les Pères, c'est l'ensemble du Psautier qui y trouve sa clef. Déjà l’exégèse traditionnelle d'Israël - dont, précisément, les Septante comme les " Targums" (Version du texte hébreu de l'Ancien Testament accompagnée de commentaires en araméen, langue qui s'était substituée à l'hébreu pendant la captivité de Babylone) nous apportent l'écho -- avait perçu que "le chatoiement des mille versets du Psautier", comme l'écrit magnifiquement "André Chouraqui", s'ordonnait autour du thème central du salut messianique et de son retentissement dans la conscience de chacun des membres du Peuple de Dieu:
   "Ainsi les mystiques d'Israël purent-ils lire les Psaumes comme l'apocalypse des déferlements eschatologiques el des libérations messianiques. Dans la lutte contre la bête, le Psautier constituait la réserve des vraies armes de combat: chaque verset, chaque mol était un glaive, et chaque glaive avait pouvoir de mort sur les démons. Avant l'heure de la délivrance finale, le juste devait se familiariser avec la puissance des mots, comme le guerrier fourbit ses armes, pour y trouver le réconfort de l'âme dans le jaillissement des feux mystiques du verbe […]. Le Psautier est ainsi le mémorial de l'histoire d'Israël, le livre des libérations universelles. Chaque Psaume y est conçu comme un acte et une illustration d'un drame qui commence aux premiers jours de la création, se déroule aux exils et aux calvaires de l'histoire pour s'achever dons la gloire de la parousie. La scène en est l'univers tout entier : les cieux, la terre, les abîmes et l’enfer ; le temps y rejoint l'éternité et l'action se déroule du commencement à la fin du monde […] Les deux acteurs de ce duel, aux frontières de la vie et de la mort, et qui s'affrontent du commencement à la fin, sont l’Innocent et le Révolté".
   Il suffit d'ouvrir le livre des Psaumes pour constater qu'il est fait en très grande partie de chants de combat, d'appels de détresse, de chants de confiance dans l'épreuve, et de cantiques d'action de grâces et de louange pour la délivrance. Cette atmosphère guerrière correspond bien à la vision patristique de la rédemption, conçue moins comme une expiation pour le péché (encore que ce motif n'en soit aucunement absent), que comme un combat victorieux du Verbe incarné contre Satan et toutes les puissances du mal.
   C'est pourquoi il sera facile au chrétien qui prie avec les Psaumes de reconnaitre dans le peuple d'Israël ou dans le juste qui y sont mis en scène, le Christ, l'Eglise, ou lui-même, appelés à revivre tout le combat rédempteur; les attaques des ennemis, les épreuves et les fautes qui accablent le peuple ou le psalmiste, ce sont les assauts du démon et de toutes les forces mauvaises contre lesquels le Christ et, en lui, tous les siens, ont à lutter. Et les chants de victoire et de louange deviennent des cantiques célébrant la Résurrection et l'établissement du Royaume de Dieu, l'instauration de l'Eglise, les résurrections spirituelles du chrétien et la restauration universelle de la création à la Parousie. Jérusalem, c'est l'Eglise; la terre promise et les récompenses eschatologiques; le temple, c'est le Corps du Christ; la Loi divine devient la Loi nouvelle promulguée par le Christ et inscrite dans nos cœurs par l'Esprit-Saint.
Les quatre sens de l'Ecriture du Psaultier :
   L'histoire du Salut a de particulier que les faits - ou plus précisément les interventions divines dans l'histoire - qui la jalonnent et en marquent les étapes, apparaissent chacun comme l'accomplissement d'une annonce et d'une promesse antérieure, et comme la figure et la promesse d'interventions et de dons divins plus grands qui les suivront. Cette façon caractéristique selon laquelle Dieu agit dans l'histoire se vérifie pour l'Ancien Testament, comme il a été dit précédemment:
   La sortie d’Egypte du temps de Moïse, le retour d'exil après la captivité de Babylone, présentent des analogies de structure, et annoncent la grande libération de l’esclavage et de l'exil spirituels du péché et de la mort, qui seront accomplis par la mort et la résurrection du Christ et par son retour à la fin des temps, et, entre ces deux avènements, par les venues secrètes du Verbe dans le cœur des fidèles.
   Mais nous retrouvons des correspondances analogues entre le Nouveau Testament lui-même et la vie de l'Eglise et du Chrétien. Les épisodes de la vie terrestre du Christ les guérisons, les expulsions de démons et les résurrections de morts accomplies par lui, annonçaient et préfiguraient les œuvres qu'il réaliserait à travers le temps et l'espace en faveur de ses disciples, au moyen des sacrements et dans les divers moments de leur vie spirituelle, L’"Evangile spirituel", pour reprendre l'expression d'Origène, ce sont nos quatre Evangiles canoniques lus dans cette lumière de l’Esprit-Saint qui font de nous comme des contemporains de la vie terrestre du Seigneur.
   Il existe, de ce fait, plusieurs niveaux de signification, et donc d'interprétation, aussi bien de l' Ancien que du Nouveau Testament Ces divers niveaux, qui sont en continuité les uns avec les autres et qui subdivisent la distinction entre sens littéral et sens spirituel, ont été classifiés de la manière suivante par la tradition exégétique chrétienne:
     1. Sens littéral: Les faits, pris dans leur matérialité.
   2. Sens typique ou allégorique: les faits et les personnages "relus" comme des figures du Christ et de tout son mystère, ainsi que de l'Eglise et des sacrements.
   3. Sens moral ou spirituel (au sens restreint de ce mot): application à la vie spirituelle de chaque chrétien.
   4. Sens anagogique ou eschatologique: application au retour du Christ à la fin des temps, au jugement dernier et à la Jérusalem céleste.
   Telles sont les richesses qu'une "relecture chrétienne" de la Bible ouvre au disciple du Christ. Guidé par une tradition qui remonte au Christ lui-même, aux Apôtres et aux saints Pères, lisant la Bible "en Eglise", éclairé par l'Esprit qui l'a inspirée, il y découvre avec émerveillement le dessein de salut de Dieu, et il y entend une parole qui lui est adressée personnellement, pour que tout ce mystère aux dimensions cosmiques s'accomplisse en lui aussi, aujourd'hui, dans l'intime de son cœur.

Référence :
Archimandrite Placide Deseille (2010), La Douce Saveur des Psaumes : Introduction au Psautier, Monastère Saint Antoine Le Grand & Monastère de Solan.