Saturday, May 6, 2017

De la maladie et l’Économie de Dieu.

    Je vous dis, amis chers, que je suis moine. Il est normal que je pense, parle et pose les questions autrement que vous. Je conçois très bien que, dans le monde, la question la plus courante quand on rencontre quelqu'un ou quand on lui écrit soit: «Comment allez-vous?. Votre santé est-elle bonne?», et si la réponse est «Oui, je me porte bien», nous disions poliment: «Je suis heureux de l'entendre!» il est évident, et personne ne le conteste, que la santé est un don béni de Dieu, mais uniquement pour le juste ou le pécheur qui se repent - mais pour le négligent ou l'impénitent, c'est un don dangereux et son absence pourrait rendre cent fois plus heureux le malheureux pécheur. Celui qui perçoit l'esprit de la Sainte Écriture, qui connaît les paroles de l'Apôtre: «Si vous restez sans châtiment, vous êtes des adultères et non des enfants», celui-là sera d'accord avec moi et défendra mon point de vue. Les justes, conformément à l'enseignement de l'Apôtre, n'ont aucun souci de la santé; ils ne la demandent pas au Seigneur, ils supportent comme une grâce toute douleur et toute punition venant de Dieu. Quant aux pécheurs qui se repentent, ils supplient parfois Dieu de leur envoyer la maladie et les épreuves dans le temps présent, et qu'il leur pardonne dans l'éternité. Je peux vous citer beaucoup d'exemples qui illustrent mon propos.

   Savez-vous pourquoi je vous écris cela?. Parce que je veux vous parler d'un vieux moine hagiorite, qui est encore en vie aujourd'hui. Cette lettre sera ainsi en quelque sorte la suite de la précédente.
   Reconnaissez-le: on n'est pas puni deux fois de suite pour le même délit ici-bas. Or, il en est de même dans l'au-delà. Celui qui aura enduré ici-bas son lot de souffrances - avec humilité, bien sûr, et dans une soumission d'enfant à la justice de Dieu, celui-là sera totalement justifié, par la grâce de Jésus ­Christ. Mais malheur à celui qui ne connaît d'autre voie que celle de la débauche et des plaisirs du monde, celui qui est toujours en bonne santé et qui ne sait pas ce qu'est une vie de douleur!. Celui-là ferait mieux de manger de la cendre et de l'absinthe amère, de pleurer plutôt que de se flatter d'être en bonne santé, en disant que c'est là un précieux don de Dieu. Pourquoi?... me demanderez-vous... Demandez plutôt à l'Apôtre Paul, relisez ses épîtres.
   L'histoire de l'Église regorge d'exemples étonnants de renoncement à soi. On les trouve dans le Prologue et les Ménologes. Pour ma part, je puis vous raconter comment un saint homme d'ici a patiemment prié Dieu de le punir ici-bas pour ses péchés et de lui faire grâce dans l'au-delà, après sa mort. Les constantes supplications du moine finirent par atteindre le ciel et Dieu, qui est Amour, accéda au désir du saint homme. Il l'honora de Son apparition.
   Un jour que le moine, ayant fait ses prières, s'était étendu pour se reposer et s'était assoupi, une lumière étincelante se répandit dans sa cellule et le frappa. Il regarda autour de lui, effrayé, et ses regards s'arrêtèrent sur la Croix à laquelle était pendu le divin Serviteur souffrant, Notre Seigneur Jésus-Christ. La couronne d'épines ceignait Son front, du sang coulait de Ses mains, de Ses pieds et de Son côté; un éclat merveilleux émanait de Son visage, de Son regard. Le vieil homme frissonna de joie, tomba à genoux aux pieds du Seigneur et fondit en larmes.
   «Pourquoi pleures-tu depuis si longtemps et si amèrement?. Que veux-tu de Moi?. »
   - Seigneur, dit le moine en joignant les mains, Tu sais combien je T'ai offensé, Tu vois combien j'ai commis de péchés, punis-moi en cette vie et fais-moi grâce après ma mort. Je ne veux rien de plus, je ne Te demande rien d'autre !.
   - C'est bon. Qu'il te soit fait selon ton désir. Je vais t'octroyer le don que J'ai déjà donné à ton père spirituel.
   La vision s'évanouit. Le moine était empli d'une joie ineffable. Encore mal réveillé, il sentit que quelque chose à l'intérieur de lui-même s'était brisé, et quand il se réveilla tout à fait, il vit qu'il avait contracté une énorme hernie. Celle-ci le fit souffrir tout le reste de sa vie, aucun bandage n'allégeait ses souffrances. Le confesseur de ce moine souffrait de la même maladie, depuis longtemps. Jugez un peu, après cela, du prix à accorder respectivement à la santé et à la maladie. Si la santé est bien un précieux don de Dieu, la maladie est peut-être, elle, un don sans prix, car l'une peut nous plonger dans un dangereux oubli de nous-mêmes, et l'autre au contraire nous conduit sur le chemin de la repentance et de la justice suprême.
   «Oui, c'est possible, direz-vous, mais comment le supporter?».
   Je dirais ceci: nous aimons le péché et la volupté - pourquoi ne pas aimer aussi leurs conséquences?. Si nous savions, s'il nous était donné de voir à l'avance ce qui nous attend après la mort et pendant les derniers instants de notre vie, bien sûr, selon la parole d'un saint Père, nous accepterions de rester toute notre vie dans une cellule remplie de reptiles venimeux plutôt que de séjourner quelques heures en enfer. Vous avez sans doute entendu parler de ce paralytique qui souffrait tant qu'il suppliait le Seigneur d'écourter sa vie de misère.
   «C'est entendu, lui dit un jour un Ange qu'il vit dans une apparition. Le Seigneur, qui est bon au-delà de toute expression, accède à ta prière et met fin à ta vie sur terre, mais avec une condition: à la place d'une année de souffrances, par lesquelles tout homme est purifié comme l'or par le feu, tu passeras trois heures en enfer. Tes péchés exigent d'être purifiés dans les épreuves de ta chair, et tu devrais rester paralysé encore une année, car, comme pour tout croyant, il n'y a pas d'autre chemin pour aller au ciel que celui de la Croix, tracé par le Dieu-Homme. Ce chemin, tu le rejettes, essaie donc l'enfer où vont les pécheurs. Au demeurant, tu n'y resteras que trois heures, et après, par les prières de la sainte Eglise, tu seras sauvé. »
   Le malheureux pensa: «Une année de souffrances sur terre, c'est trop long!» et il donna son accord à l'Ange. Celui-ci prit doucement dans ses bras l'âme du malheureux, l'emporta dans les ténèbres de l'enfer et s'éloigna en disant: «Je viendrai te reprendre dans trois heures. »
   L'obscurité, l'absence d'air et d'espace, les hurlements qui parvenaient jusqu'à lui, la vision des esprits impurs, monstrueux, tout cela remplit le malheureux de terreur et d'angoisse. Il n'y avait pas le moindre soupçon de joie dans cet abîme; il ne voyait dans les ténèbres que les yeux brûlants des démons qui s'agitaient comme des ombres gigantesques devant lui, prêts à l'écraser, le dévorer, le brûler de leur souffle infernal. Le pauvre malheureux se mit à crier, mais seul l'abîme répondit à ses cris par un sinistre écho. Il lui sembla que des siècles s'étaient écoulés, il attendait l'Ange qui ne venait pas; les pécheurs qui souffraient autour de lui n'étaient occupés que de leur propre supplice et ils ne répondaient pas. Les démons, eux, riaient et se gaussaient: «Voilà qui est parfait! Attisons le brasier pour les hôtes désirés!».
   Enfin la douce lumière accompagnant l'Ange se répandit dans l'abîme. L'Ange demanda en souriant: "Alors, qu'en dis-tu, frère? " .
   - "Je ne pensais pas que les lèvres d'un Ange pussent proférer des mensonges!". murmura le prisonnier
   - Que veux-tu dire?.
   - Comment, ce que je veux dire?. N'avais-tu pas promis de venir me chercher au bout de trois heures, et je suis resté ici des années, des siècles?.
   - Que dis-tu là?. Une heure seulement s'est écoulée depuis que je t'ai amené ici. Et tu devrais rester encore deux heures.
   - Deux heures?. Mais c'est impossible!. Je préfère souffrir des années et des siècles sur terre, jusqu'à la fin du monde, jusqu'au Second Avènement du Christ... Retire-moi de là!. Aie pitié de moi, suppliait le malheureux en tendant les mains vers l'Ange.
   - Bon, dit l'Ange. Dieu, Père de tous les bienfaits et de la Consolation, répand sur toi Sa grâce ...
   A ces mots, le pauvre paralytique ouvrit les yeux et se vit, comme avant, sur son lit de douleur. Il était épuisé, les souffrances de son esprit se manifestaient dans son corps - et pourtant, de ce moment-là, il supporta tout comme un bienfait et remercia Dieu qui l'avait épargné.
   Bien sûr, cette légende a une grande signification, une grande vraisemblance, surtout en rapport avec le récit de l'Évangile qui nous montre le riche en proie aux tourments de l'enfer et qui ne demande qu'une chose: qu'on verse sur sa langue brûlante une seule goutte d'eau fraîche.

Référence:
Kichilov A. (2004), Lettres du mont Athos, Presses de la Renaissances, Paris, France.