Saturday, October 14, 2017

Lumière de l'icône, lumière qui n'a pas de soir.


Frèsque du  Christ Pantocrator
au Monastère Saint Jean Baptiste, Douma, Liban.


 La lumière de l’icône n'est pas de ce siècle. Elle ne vient pas de l'extérieur éclairer en passant. C'est de l'icône elle-même, des visages des Saints et de la création transfigurée, que se répand une lumière sereine, reposante et joyeuse, comme une grâce et un don du Saint-Esprit: les icônes qui représentent des événements qui eurent lieu le jour ne sont pas plus lumineuses que les autres qui nous montrent des événements qui eurent lieu la nuit. La Sainte Cène, la prière à Gethsémani ne sont pas plus sombres que la rencontre du Seigneur et de la Samaritaine au puits de Jacob, que la Résurrection et que la Pentecôte.
    Ce n'est pas le jour qui éclaire, ni la nuit qui obscurcit l'événement de l'icône. Ici se tait toute chair mortelle. Nul élément ou nul événement du monde créé n'a la moindre présomption, ni n'agit de manière mondaine, ni ne prend l'initiative. Mais tout sert avec réserve et hiérarchiquement, Tout connait le changement étranger de la Transfiguration.
    L'icône n'a pas besoin du jour, et elle ne craint pas la nuit. C'est la nuit et le jour qui ont besoin de la puissance et de la grâce transfi­gurantes de L'icône. C'est pourquoi l'une et l'autre sont représentées par un symbole (le soleil ou la lune) dans le monde iconographique. Mais alors même qu'elle n'a besoin de rien, l'icône ne méprise rien. Ici tout est béni, se réjouit et exulte. Tout est empli de lumière incréée.
    Et telle est l'expression de cette victoire sereine de la lumière incréée: l'icône est étrangère aux yeux des ombres et de la lumière et aux touches passagères que suscite la représentation naturelle du jour et de la nuit.
    Nous nous trouvons ici en dehors et au-dessus de ces changements, tels les degrés de chaleur du soleil et de la Lune, Nous nous trouvons dans la sérénité du nouveau ciel et de la nouvelle terre. En dehors de la lumière créée et de l'espace clos. C'est pourquoi les événements qui ont eut lieu dans une maison sont toujours représentés dehors. Ils feront déborder la grâce du salut dans le monde entier. Ils répandent la lumière dans toutes les nations. Ils témoignent de la Jérusalem céleste qui vient d'en haut, laquelle « n'a besoin ni du soleil ni de la lune pour l'éclairer. Car la gloire de Dieu l'illumine et l'Agneau est son flambeau. Et les nations marcheront à sa lumière » (Ap21,23-24).


  L'icône est une lumière qui éclaire et guide. Qu'il fasse jour ou qu'il fasse nuit, tu la vois qui te consoles en toute pureté.
    Que tu aies les yeux ouverts ou que tu aies les yeux fermés, tu ne perds pas l'expérience spirituelle et la contemplation de la lumière incréée. “ Alors la nuit et le jour seront une même chose.“
    L'icône elle-même ne te quitte plus. Que tu sois dans la joie ou dans la peine, elle t'emplit de consolation. Que tu vives ou que tu meures, sa grâce est là. Elle te tient comme un petit enfant dans la vie incorruptible: elle est notre vie. Elle est en dehors et au-dessus de nos passions et de nos faiblesses, et elle nous transfuse la sérénité, la lumière du Ressuscité.
    Elle est la nouvelle colonne de feu qui guide le nouvel Israël dans la terre promise.
    Elle est la nouvelle étoile de lumière qui mène au Roi de la paix.
    Si elle parlait une autre langue, l'icône tourmenterait l'homme. Si elle se fondait sur l'exactitude historique, elle nous dirait simplement: Il ne vous a pas été donné de vous trouver là et de voir ces événements comme les ont vus ceux qui ont crucifié le Seigneur.
    Si elle nous représentait le Christ sur la croix comme un condamné et se réjouissait à la Résurrection, elle nous laisserait en proie aux changements mortels, et soumis à nos passions. Elle ne nous donnerait rien de plus que ce que nous avions quand nous étions seuls.


 Si elle représentait avec des couleurs romantiques la nuit et le jour, elle nous laisserait dans la prison du monde créé qu'après la chute nous connaissons si bien. Si elle craignait la nuit, si les ténèbres naturelles lui coupaient la vue, nous serions comme si nous n'avions pas été baptisés. Nous craindrions la mort. Celle-ci briserait l'espérance de notre vie. Nous demeurerions dans le pays de la mort.
    S'il y avait une perspective, elle nous ferait durement (fût-ce en y mettant les formes) sortir du Paradis et de la participation directe, comme les vierges folles. De conviés aux Noces que nous étions, elle nous jetterait dehors dans les ténèbres, dans les glaces de la vision objective et dans l'illusion.
    C'est dire que si l'icône demeurait sur le plan du tableau religieux - alors même qu'elle nous parlerait de l'événement du salut - elle ne nous proposerait qu'une distraction artistique pour nous donner d'oublier (si c'était possible) la prison et le pays de la mort. Elle serait une dérision.
    Or maintenant elle est Rédemption.
    L'icône n'est pas une reconstitution d'événements. Elle n'est pas une image fabriquée. Elle est une grâce incarnée. Elle est une présence, une offrande de vie et de sanctification.
    L'iconographie orthodoxe est un témoignage de la victoire du Prince de la vie et de Ses amis, un témoignage de leur victoire sur la mort. Les lois de l'hagiographie sont les lois de la vie spirituelle. Sa puissance est la puissance de la Résurrection. On entre dans le monde de l'icône, on apprend sa langue, par le repentir et l'humble adoration, non par l'observation et la simple éducation artistique. Les couleurs parlent en silence et les formes révèlent Celui qui n'a pas de forme à ceux « qui adorent dans la foi le mystère».


     Quelle désillusion. A quelle tentation d'incroyance te porte l'approche du Seigneur «selon l'homme»: à voir le Christ de manière charnelle; à Le représenter en peinture comme un homme ordinaire de Son temps; à penser que tu parviendras plus près de Sa vérité, si tu réussis à copier et à représenter plus fidèlement le paysage de la Palestine ou l'époque d'alors.
    A l'inverse, l'icône ne crée en toi nul mirage romantique, nulle illusion de lieux et de temps révolus. Elle ne provoque en toi nulle émotion de souvenirs humains devant des époques, des civilisations ou des événements passés. L'icône est une présence qui porte la vie. Elle te met devant la transparence de l'histoire et de la matière trans­figurées: au cœur des Noces du créé et de l'incréé, dans l'espace où tout est vrai, où tout est intact - le passager et l'éphémère - sans que soit ravagé rien de ce qui se passe. Mais immobile au cœur d'un mouvement continuel de vie, tout te donne à boire la joie qui jaillit du tombeau du Christ.
      Tu es debout devant l'icône avec crainte, respect et joie.
    Tu es debout. Tu vénères. Tu tètes, tu aspires, tu te nourris insatiablement. Ce qui te nourrit désormais ne manquera jamais. Celui qui te nourrit désormais ne passera jamais. Ceux qui vénèrent et ce qui est vénéré sont au cœur du pouvoir et de la grâce sanctifiante de l'Esprit qui n'a ni commencement ni fin.
    Quand tu as appris à vénérer l'icône du Christ, de la Vierge et des Saints (à la vénérer de tout ton être appuyé sur elle) tu connais le chemin qui te mène à la source de la vie qui n'a pas de fin.
    « Venez, fidèles, allons au tombeau de la Mère de Dieu et embrassons-le, touchant purement le cœur, les lèvres, les yeux, le front. Et puisons les grâces abondantes des remèdes qui coulent de la source intarissable».

Référence
Basile de Stavronikita (1980), “Chant d’Entrée”, Labor et Fides.